Me voilà rassurée. Il est raisonnable, nous sommes loin de tout. Quand il parle d’aller à la pharmacie, je l’entends vaguement, et je sens à peine qu’il me soulève. Je suis dans une sorte de semie-inconscience. Je sens qu’il me transporte, je suis tellement faible que je ne peux même pas rouvrir mes yeux. Je suis dans du coton, j’ai mon corps qui me fait moins mal, je ne sais pas ce qu’il m’a fait, mais j’ai moins mal partout, je l’entends me parler à nouveau, il est désolé d’avoir sauté dans le piège de Talia, S’il avait été plus prudent, je ne serai pas ainsi. Je n’arrive toujours pas à ouvrir les yeux mais je devine sa mimique.

- Bébé… Ne t’en fais pas… Tout ce qui compte… C’est qu’on s’en soit sorti…

Je suis de nouveau dans le coton, je sens vaguement l’odeur de sa clope. Il est pensif, préoccupé. Même sans le voir, je le sens, et il y a de quoi. Que je l’aime mon loup. Petit à petit, je finis par m’enfoncer un peu plus dans le sommeil. Je crois que je suis restée endormie que quelques minutes car quelque chose en moi s’est réveillé, ce sens, cet instinct de survie, de protection des gens que j’aime. Je rouvre les yeux, et je le vois sursauter.

- B… Bébé ?

Je me redresse en grimaçant. Je me tourne vers lui. Quelque chose ne va pas, son regard a changé… Je crains le pire, ai-je dormi si longtemps que ça. Je teste plusieurs fois la résistance de mes jambes avant de me lever et de tituber vers lui. Je m’agenouille et je pose ma tête sur ses jambes.

- Toi aussi, tu devrais dormir un peu. Tu commences à voir des choses qui ne sont pas là.

Je me redresse et je le regarde. Je dépose un baiser léger comme une plume sur ses lèvres*

- Dors un peu… Tu en as besoin…

Il s’est enfin endormi, je peux connaître alors un peu de calme. Je le réajuste sur le lit, et je m’allonge sur ses jambes, contre lui. Je regarde le plafond. Je ne sais pas combien de temps passe, mais je sens des frissons parcourir son corps. Puis j’entends son cœur s’emballer, de plus en plus vite. Il parle dans son sommeil, non… Non… Il hurle, je fais un bond hors du lit.

- Bébé !

Il est comme, prisonnier d’un rêve. Il est prisonnier tout court, il se débat. Il hurle à nouveau, il souffre. Je ne sais que faire. Alors qu’il semble ne plus se débattre, je peux enfin m’approcher. Je pose mes mains sur ses tempes et je ferme les yeux.

- Bébé… Je t’aime… même Physiquement pas là, je suis là près de toi, je suis toujours là, dans ta tête et dans ton cœur. Je fais partie de toi tu fais partie de moi. Nous formons un tout, même séparés par le temps ou l’espace. Quoiqu’il arrive, dans ce monde ou dans un autre rien ne pourra nous séparer… Tu es ma vie, je suis la tienne et ensembles nous viendront à bout du pire…

Ces paroles coïncident quand John se relève dans son cauchemar. Il ne faut pas longtemps pour qu’il hurle à nouveau et que je finisse par le recevoir dans mes bras, contre moi, violemment. Je le serre fort contre moi, sa tête contre ma poitrine.

-Bébé… C’est fini… Je suis là, c’est moi… Zal, c’était un cauchemar… tu es dans la réalité, c’est fini ! Je vais bien… je t’aime… Je te promets que je vais bien…

Je le garde fermement contre moi en lui caressant les cheveux. Je l’installe dans mes bras, blotti contre moi. Je caresse sa joue et je me plonge dans ses yeux verts.

- Bébé… regarde-moi… C’est fini… Je suis là, bien vivante, bien réelle… SHIBI, rune d’apaisement…

Je l’appose sur son torse et je le laisse reprendre ses esprits en le gardant dans mes bras, blotti contre moi.

Ce qui se déroule sous mes yeux est comment dire, complètement fou ! Trois versions de Constantine différentes dans la chambre en filigrane se disputant ma personne comme un vulgaire bout de viandes. Je regarde le corps allongé de Constantine dans mes bras, les yeux ouverts, mais vides.

- Non… Pas ça… non… Bébé !

Je le repose doucement sur le lit sans vraiment m’occuper des trois guignols. Sa peau est froide, comme éteinte du feu de la vie. Du feu de son âme.

- Bébé, non, ne me fais pas ça, pas à moi ! Je t’en prie ! Accroche-toi !

Je comprends ce qu’il se passe, son esprit est en miettes, de ce que j’ai vu dans les flashs, il était dans le même état quand il est allé en Hôpital Psychiatrique. Je remonte sa manche et je fais apparaître une petite aiguille et je commence à graver sur sa peau des symboles visant à brider sa magie tant qu’il est dans cet état.

- Désolée bébé, ce n’est pas agréable, mais dans ton état tu ne pourras pas forcément retenir le flot magique qui t’habite…

Je finis par me préoccuper des trois autres. Je les avais entendus vaguement me parler, je ronchonne un peu. Cela devient très vite une sacrée cacophonie.

- SILEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEENCE !!!

Les trois se turent et me regardent avec de grands yeux. Je toussote.

- Bien maintenant que j’ai votre attention… Nous allons devoir arranger tout cela, et quand je dis nous, c’est tout simplement que vous avez tous les trois un rôle à jouer… Vous représentez tous les trois une partie de la psyché de John Constantine. Une fois que je vous aurai tous identifiés, mon boulot sera de recoller les morceaux, et ainsi de tous vous sauver… Comme d’habitude !

Je soupire…Et je commence par le super héros, qui me colle des frissons d’horreur, ça ne lui va pas du tôt…

- Toi, Super-Sorcer jenesaisplustropquoi… Tu es la partie qui renferme le courage, la volonté, la partie forte, qui a confiance en lui qui ne laisse pas les erreurs du passé le hanter. Tu es aussi ce que John aurait pu devenir sans la clope et sans l’alcool… Et je sais qu’un jour, il devra payer ses excès…

Mon regard devient triste et un gros nuage passe devant mes yeux. Puis je regarde le musicien, les cheveux hirsutes blonds, des tatouages provisoires sur les biceps et un ou deux percing, sans oublier l’air punk et l’alcool ainsi que la clope.

- Toi tu es sa facette rebelle et destructrice. Rebelle car tu n’as jamais aimé les codes et qu’on te dicte ta conduite, tu ne fais jamais comme les autres et tu n’as jamais voulu rentrer dans un moule. C’est ça qui m’a attiré la première fois. Et destructeur parce que cette allure n’est qu’un masque, derrière lequel tu caches tes regrets, tes échecs, tes peurs… Tu es la partie de John qui me donne envie de le protéger et de lui redonner foi en l’avenir et en… l’amour…

Je caresse la joue glacée de Constantine sur le lit. Je lui murmure à l’oreille.

- Je n’aurai pas de répit, tant que j’aurai réussi à te ramener à la lumière mon ange…

Je me tourne vers le troisième, propre sur lui, il tranche radicalement avec les deux autres.

- Toi, tu es la version rationnelle, polie et honorable. Ce que tu aurais pu devenir si tu n’avais pas eu toutes ces casseroles et la vie qui t’a littéralement tapé dessus… je pense que tu es celle qui aurait pu être sans la magie… Tu es la partie qui est le stratège, le leader naturel, tu es aussi celui qui analyse…

Je regarde autour de moi. Je sens une quatrième entité. J’entends des sanglots. Apparemment je suis la seule à les entendre. Je me lève et j’ouvre la penderie, là, en bas, recroquevillé sur lui, un garçonnet d’une dizaine d’années, couvert de bleus et de contusions, terrorisé. Il sanglote et il se protège de moi avec les mains.

- Johnny… N’aies pas peur… Je ne te ferai aucun mal…

Je caresse ses cheveux, il me regarde, il fonce dans mes bras avant de se mettre à pleurer réellement dans des cris déchirants. Des ailes s’ouvrent et se referment en même temps que mes bras sur lui.

- Et voici le dernier… La dernière pièce du puzzle de ton esprit… La partie brisée… Marquée au fer rouge par la vie et par les violences de son père… La première pièce car celle dont dépend toutes les autres… Celle qui a créé les autres. Celle qui a fait au départ de John ce qu’il est désormais…

Je le regarde, il me regarde, il essuie ses larmes alors que je lui souris tendrement.

- N’aies plus peur gamin… Je suis là maintenant, je t’aime et je te protège…

Il me regarde et pendant quelques millièmes de secondes, Mon John se chevauche à lui. Je regarde autour de moi, les quatre se voient liés par un faisceau lumineux blanc à mon John. Le garçonnet se libère de mes bras et va rejoindre les trois autres. Je me relève et je sens mes larmes monter. Les quatre me sourient et se transforme en boule de lumière de différentes couleurs avant de rentrer paisiblement dans le corps de John. Je me précipite à son chevet.

- BEBE ! Tu m’entends ? C’est moi Zal !

Il cligne plusieurs fois des yeux, je sanglote en le serrant contre moi, installé confortablement. Je sens sa peau se réchauffer. Je sens son souffle revenir, je le regarde, ses yeux sont de nouveaux lumineux, il est épuisé, mais de retour. Sa voix est presque méconnaissable, caverneuse, mais je la reconnaitrais entre milles.

Je ne rêve pas, il me dit qu’il est de retour, que j’ai réussi à le ramener. Quelques larmes coulent sur son visage.

- Oh mon amour… Le cauchemar est fini… Je t’aime mon loup…

Je caresse sa joue, je le vois essayer de se lever, je ne l’aide pas bien au contraire, je le garde contre moi.

- Non ne bouge pas… Ne bouge pas bébé…

Je caresse ses cheveux, sa joue, je m’assure que c’est bien réel. Je le regarde avec douceur, débordante d’amour, n’arrivant pas à arrêter de sangloter. Il m’arrache un sourire quand il s’excuse de devoir dormir encore un peu.

- Tu es bête… bébé… Reposes toi… Tu reviens de loin… Et n’aies plus peur… je reste près de toi…

J’enlève la rune qui bride ses pouvoirs, il devrait mieux se sentir, mais pour le mal de crâne, il n’y a que le repos qui peut y faire quelque chose. Avec l’aide de la magie, je le rallonge mieux que ça dans le lit, je me glisse à ses côtés et je me blottis contre lui, ma main sur son torse.

- Dors mon ange… Je ne te quitte pas d’une semelle…Ne doute plus jamais de mon amour… Il est infini et éternel… Et il est à toi… Et personne ne te fera du mal…

Je le laisse glisser doucement dans le sommeil, j’utilise la magie pour le mettre torse poil et soigner les dernières blessures que je n’avais pas eu le temps de guérir. Il ne me faut pas longtemps pour m’écrouler à mon tour après avoir déposé un baiser sur les lèvres du blondinet. Un champ de force nous protège.

Quelques heures plus tard, je me réveille. Mon regard glisse sur le visage de John, il est détendu, son esprit et son aura sont calmes, je prends son pouls, il est calme, tranquille. Tout va bien ,enfin. Il se repose… Je deviens une fumée grise et je m’extirpe du lit sans le réveiller. J’ai à peine le temps de me lever, que déjà une grande thermos de café et deux tasses avec des petits pains trônent sur la commode. Je remercie mentalement notre hôte avec un petit sourire. Une corbeille de fruits apparaît, et je me jette littéralement dessus. Je bois une grande tasse de café en surveillant John comme du lait sur le feu. J’apporte une tasse de café et un paquet de clopes neuf. Je sors un paquet du tiroir de la table de nuit et je m’en allume une, il ne m’en voudra pas. Je m’installe sur un tabouret de son côté et je lui prends la main.

- Je t’aime tellement… ne prends plus jamais de tels risques, je ne serai pas toujours au bon endroit au bon moment pour sauver tes fesses… S’il t’arrivait malheur… je…

Au moment où je suspends ma phrase, John ouvre ses yeux, enfin. Je manque de lui sauter au cou mais je me retiens.

- Tu n’as pas à me remercier bébé… Tu aurais fait pareil pour moi… Et puis on s’aime, non ?

Il se lève doucement, ou du moins il s’assoit sur le lit, les pieds au sol. Je le vois se jeter sur le paquet de clope et le café, je souris tendrement, amusée par la scène.

Il me demande si j’ai invité du monde, j’ai à peine le temps de faire non de la tête que j’entends le bruit que John a entendu, on se regarde. Il se lève, titube, je vois ses jambes trembler mais il tient le choc, je le suis tout aussi discrètement. Je suis derrière lui quand il me dit de le suivre. Je m’arme de mon Bô et je le suis. John tremble, je pose ma main sur son épaule et je lui souris.

**ça va aller ? On est ensemble, quoique ce soit je m’en occupe mon cœur…**

On dirait des basses d’une musique forte, et le son ne fait qu’augmenter. Je vois John se décomposer du visage. Il connaît cette musique. J’ai juste le temps d’asséner un coup de bô à une ombre noire que je m’aperçois de son identité. Nous, en diablotin. Je grogne, mais version bête acculée.

Je regarde Constantine, il n’est pas en état de se battre, moi oui… Je suis de plus en plus convaincue que la musique, c’est une des siennes. Avant Astra…

- Pas pour longtemps petit ange… Je m’en occupe, tu n’es pas en état de te battre…

Les diablotins n’en ont pas après moi, mais après John. Ce qui ne fait qu’augmenter ma colère.

- Azarath Metrion Zinthos !

Le bô réagit et se met à crépiter d’éclairs noirs. Je dissipe en un coup les diablotins qui ont la forme de Bruce et de Terry. Il ne reste plus que Dick et moi. Ils attaquent ensemble, ils sont rapides.

- Kara ! Champ de force de lumière !

Une égide apparaît devant nous et éjecte les deux démons. Je sens l’énergie de Constantine baisser, il faut que je me dépêche. La musique devient insoutenable que j’en ai les oreilles qui saignent. Je m’efforce de passer outre la douleur.

- J’en ai assez ! Azarath Metrion Zinthos, NIRU !!!!

Le silence se fait dans la pièce, comme recouverte d’une brume noirâtre.

- ARETO MANO, Purification de la passion !

Plusieurs vagues d’étoiles multicolores parcourent la pièce, les diablotins n’apprécient pas. J’halète, je suffoque, je me tiens avec le Bô.

- IRU RAJE ! Bannissement ardent ! FOUTEZ LE CAMP DE CHEZ MOI !

Des flammes écarlates dévorent les deux diablotins restants. L’égide se fissure et se brise, le brouillard de silence disparaît et le Bô disparaît, je m’écroule à genoux, en sueurs, les oreilles avec des traces de sang. Il n’y a plus de musique, et la maison semble reprendre son calme. Je suis toujours à genoux, les mains posées au sol, les yeux fermés sous l’effet de la douleur, tentant de reprendre mon souffle.

- Bébé ! Parle-moi ! Dis-moi que ça va !